A L’ÉCOUTE
DE LA NATURE
La Romance du vieux clou rouillé
2ème partie
"la chanson des Blés d'Or"
Rappelez-vous, au printemps 2021, quelque part dans un coin de la Châtaigneraie Cantalienne, un couple de rouges-queues noirs établit son camp de base dans un hangar ouvert aux quatre vents.
On vit la femelle, éclaireuse à l’imagination débordante, jeter son dévolu d’une manière - ô combien hasardeuse-, sur un vieux clou rouillé pour y suspendre son nid. Ce qu’elle fit déjà par le passé.
Etaient-ce là les prémices d’une nouvelle mode qui allait se répandre partout dans les campagnes ? Pas du tout, cette pratique de l’accro-clou - innovante s’il en est-, mais il faut bien le dire des plus dangereuses, fut d’une vogue éphémère et tomba en désuétude, immédiatement après qu’une poignée de jeunes rouges-queues prit son envol, à l’issue d’une reproduction d’une réussite totale !
Quelques jours plus tard, une fois la nichée accomplie, la comparse décida de remettre le couvert, mais une fois de plus déjoua toutes nos prédictions. Nous ne pensions pas que la crise du logement était à son comble, au point qu’une habitation à loyer modérée reprit à tous les étages de la plume de la bête.
C’était sans compter que la follette, ayant monnaie courante, avait plus d’une passade sous la tarse…
Ainsi, délaissant le clou, on la vit empiler une pléthore de matériaux becquetés ici ou là, sur le toit pentu d’un nichoir où avait élu domicile un couple de mésanges bleues ; ces dernières n’ayant pas à notre connaissance déposer plainte, trouvant là sans doute l’aubaine d’une isolation par l’extérieur fort commode.
Nous trouvâmes tout de même que son audace manquait quelque peu du sens de la déclivité. Cependant, nous décidâmes, cette fois de laisser la nature se faire…
Mais, à mesure que les travaux d’empilement avançaient à grande vitesse, notre inquiétude grandissait d’autant.
Non seulement, le terrain était en pente, mais sans doute pour le point de vue panoramique, l’intrépide capricieuse, férue de voltige, considéra qu’il valait mieux placer son bé-ni-tier d’herbes sèches au bord du précipice !
Dès lors, il ne nous restait plus qu’à invoquer Athéna afin qu’elle lui accorde sa sagesse et surtout sa protection !
« Prends garde belle oiselle à arrimer ton nid,
Sinon, Uroua , le grand vent se lèvera
N’entends-tu donc pas le Lion des airs qui rugit ?
Ton berceau joli, d’un coup, il engloutira ! »
Ce qui devait arriver, arriva ! Une rafale emporta « la nitée avant qu’elle se trouvât assez forte » (J de la Fontaine) et réduisit la ponte à l’état d’omelette sans aucune autre formalité.
Le nid du rougequeue noir est formé de deux parties : à droite, servant de base, un agglomérat peu construit de divers matériaux, constitué de mousse principalement ; à gauche, la coupelle faite d'herbes sèches entremêlées avec quelques plumes douillettes en son coeur.
Il est posé sur le support choisi, quasiment sans arrimage, rappelant que l'oiseau, originaire des montagnes, installe son nid simplement sur un replat rocheux, sans avoir à se soucier de sa stabilité.
Nous assistâmes alors à une scène qui pourrait paraître des plus étranges : le mâle qui jusque -là était des plus discrets, se mit à entonner sa chanson grêle comme si de rien n’était.
Pouvions-nous, à cet instant, attendre de l’insouciant, un Dies irae désespéré ? La représentation de la mort animale étant peu évoquée dans la littérature spécialisée, que pouvons-nous en dire sans tomber dans quelque exagération romantique ?
Le soir même s'e déroula un événement aussi imprévu que troublant. Minuit passé, une alouette lulu s'est mise à chanter longuement, donnant l'impression qu'elle ne pourrait jamais s'arrêter. Que pouvait signifier cette supplique lancée à une heure si tardive ? Se pourrait-il qu’il s’agisse d’un chant de désolation, une instance expressive, sous le seul prétexte que sa vocalise est dans un ton mineur descendant ?
L’on sait que le chant chez les oiseaux répond, selon les circonstances, à plusieurs fonctions : territoriale, d’appel, de séduction ; il participe également à l’éducation des juvéniles qui s’imprègnent des motifs du père. Or, une fois les jeunes éparpillés dans la nature, le passereau réitère son chant pour autant que la saison des amours n’est pas trop avancée.
Si pour une raison ou une autre, la nichée vient à être détruite, la réaction parentale est identique : instinctivement, le couple tente une nouvelle nidification.
Mais pourquoi diable, une alouette lulu qui est un oiseau essentiellement diurne, chantant dès l’aube lui arrive-t-il de jouer « sa mélodie infinie », contre un fort vent contraire, sous le ciel étoilé ? Quel fut le moteur de son acte ? Quelle motivation sublime lui fit pousser ses strophes divines ? S’agissait-il d’une expression artistique poussée à son comble ? A qui s’adressait sa turlurette céleste ?
D’un revers de main, le cartésien, trônant sur son âme, expliquera doctement qu’il s’agit au pire d’un réflexe sans signification particulière, au mieux d’une manifestation de l’instinct. Il est vrai que ce concept désigne une force impulsionnelle lié au déterminisme biologique. On sait par ailleurs, par extension que l’instinct est également une capacité à agir intuitivement.
Il est vrai également, qu’à l’instar d’autres espèces diurnes, - mis à part le rossignol perfectionnant son art nuit et jour-, l’alouette sous l’effet de la lumière lunaire ou de l’éclairage urbain, peut sporadiquement se mettre à vocaliser notamment en première partie de nuit.
Non seulement, le chant inspiré de l'alouette lulu force l'admiration, mais sa représentation graphique, sous forme de sonagrammes ci-dessus et ci-dessous, finit de nous convaincre des ses qualités musicales formelles ; le second sonagramme en partant du haut nous montre certains motifs se succédant en une guirlande de croches : on croirait voir une partition musicale écrite de la main de Jean Sébastien Bach !
Le premier sonagramme provient d'un chant de jour collecté la veille. En second plan, moins brillant, se profile un deuxième soliste concertant avec le premier.
Les deux enregistrements de jour et de nuit ont été réalisés quasiment dans le même secteur ; il est possible qu'il puisse s'agir du même auteur.
Il serait d'un grand intérêt d'étudier chacun des motifs formant les deux chants pour savoir s'il existe des différences notoires entre chant de jour et celui et de nuit.
La ligne discontinue du haut, des deux derniers sonagrammes, correspond au chant du grillon champêtre.
Mais encore ? Y’ aurait-t-il un lien d’une cause prosaïque à un effet plus profondément spirituel ?
Autrefois, les récoltes évoquaient la maturité des blés d’or et la fenaison estivale. La nature avait le temps d’accomplir son cycle de vie. L’homme ne vivait pas à contretemps saisonnier, mais en même temps, scrutant les caprices météorologiques pour accomplir les travaux des champs.
De nos jours, par souci de rentabilité, elles commencent, dans certaines régions, au plus tôt. A grande échelle, la pratique de l’ensilage permet de faucher à plusieurs reprises tout au long du printemps et de l’été, la fauche pouvant avoir lieu, de jour comme de nuit, 3 ou 4 fois par saison, quasiment à n’importe quel moment. En d’autres termes, une plante, dans ces conditions de surexploitation délétère, gavée à grand renfort d’engrais, ne fleurit plus, car elle n’a plus le temps de le faire ; sa seule finalité étant de fournir la matière première à la fermentation en silo.
Or, c’est un fait : une vache nourrie à l’ensilage mange de l’herbe fermentée, certes, mais aussi, nichant ou évoluant à même le sol dans les prairies, toutes sortes d’animaux qui se sont faits déchiquetées dans les machines. Tout y passe : micro mammifères, hérissons insectes, oiseaux, reptiles, chevreuils…
Un agriculteur nous disait connaître, une chèvre (femelle du chevreuil) estropiée, ayant survécu après que l’une de ses pattes eut été arrachée, à l’instant même où la machine avalait ses petits. Cette réalité est tue, car elle n’est pas bonne à être sue…
Dès lors, faut-il s’étonner de la perte de biodiversité, en particulier dans les campagnes ? Quid du rôle des pollinisateurs que sont les abeilles, bourdons, coléoptères, papillons… ?
Est-il incongru de penser qu’obéissant à une urgence absolue, l’alouette lulu se remette à chanter après avoir perdu sa progéniture, mais aussi sa compagne immolée ?
Comment se fait-il que nous puissions accepter de telles destructions ? Pourquoi subissons-nous sans réagir la procrastination d’une société indolente et repue ? Faut-il que l’humanité soit au bord d’un océan de plastique pour qu’elle se mette enfin à changer ses habitudes consuméristes ? Aux portes de Nairobi, polluant l’air et les sols, s’accumule une montagne de déchets de plastiques dont se débarrasse l’Occident à peu de frais. Sur ces décharges à ciel ouvert, des petites mains besogneuses se disputent une manne dérisoire. Est-ce là la promesse du bonheur que la civilisation des pays riches donne à la jeunesse africaine et à notre propre jeunesse ?
Faut-il s’étonner alors de la montée grandissante, là-bas et ailleurs, d’un radicalisme idéologique exacerbé ?
Tandis qu’ici, beaucoup d’agriculteurs, eux-mêmes se soumettant au dictat d’une technocratie de bureau, servent les intérêts juteux d’une agrochimie obèse.
Leur destin leur échappant, ils reconnaissent, à demi-mot, être devenus les pantins d’engagements qui les dépassent. Le nombre grandissant de suicides d’agriculteurs témoigne de leur désarroi et de leur criante détresse.
Indignez-vous ! Il est plus que temps de se relever : ce n’est pas la fin du monde, juste la fin d’un monde, celui de l’énarchie et de ses potentats sournois !
Réjouissez-vous : la vanité porte en elle-même sa propre obsolescence programmée !
Ecoutez votre conscience : « sa petite voix » vous murmure la délicieuse « chanson des blés d’or » et sa mélodie surannée :
Mignonne, quand la lune éclaire
La plaine aux bruits mélodieux,
Lorsque l'étoile du mystère
Revient sourire aux amoureux,
As-tu parfois sur la colline,
Parmi les souffles caressants,
Entendu la chanson divine
Que chantent les blés frémissants?
Mignonne, quand le soir descendra sur la terre,
Et que le rossignol viendra chanter encore,
Quand le vent soufflera sur la verte bruyère,
Nous irons écouter la chanson des blés d'or!
Nous irons écouter la chanson des blés d'or
As-tu parfois sous la ramure,
A l'heure où chantent les épis,
Écouté leur joyeux murmure
Au bord des vallons assoupis?
Connais-tu cette voix profonde,
Qui revient, au déclin du jour,
Chanter parmi la moisson blonde
Des refrains palpitants d'amour?
Mignonne, quand le soir descendra sur la terre,
Et que le rossignol viendra chanter encore,
Quand le vent soufflera sur la verte bruyère,
Nous irons écouter la chanson des blés d'or!
Nous irons écouter la chanson des blés d'or!
Mignonne, allons à la nuit close
Rêver aux chansons du printemps
Pendant que des parfums de rose
Viendront embaumer nos vingt ans!
Aimons sous les rameaux superbes,
Car la nature aura toujours
Du soleil pour dorer les gerbes
Et des roses pour nos amours!
Paroles : C. Soubise, L. Lemaitre, musique : Frédéric Doria, 1882
Denis Wagenmann, le 26/02/22