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  La romance du vieux clou rouillé.          Une incroyable histoire naturelle

 Il était une fois un vieux clou rouillé, tout tordu, fiché dans une poutre sous un toit de hangar couvert de tôles ondulées.

 Désoeuvré, il attendait là depuis des dizaines d’années, se désolant qu’il ne servît plus à rien. Les jours devaient lui sembler une éternité.

 Mais par un heureux événement, son destin oiseux fut tout à coup changé.

 Une rouge-queue noire se prit subitement de passion pour lui ; le clou mal fichu n’avait pourtant rien pour plaire. Allez comprendre pourquoi, elle alla s’enticher de lui !

rouge-queue noir femelle.jpg

 Le fil de l’histoire remonte il y a, au moins, trois ans. Comme à chaque printemps, toute espèce d’oiseau s’affairait à construire un nid, ou à s'accaparer celui d'une autre. Il était hors de question que notre rouge queue-noir échappât à cette règle immuable.

 A peine revenue de son quartier d’hivernage, la femelle rouge-queue, à moins qu'il se fût agi du mâle, s’était donc mise en quête d’un endroit propice pour le bâtir.

 A notre grand étonnement, l’oiselle jeta son dévolu sur ce clou ; pas n’importe lequel, certes, celui qui était, à bonne hauteur, situé à l’abri des regards, dans le coin le plus sombre du bâtiment ouvert aux quatre vents.

 D’allées en venues, elle apportait pour l’ouvrage toutes sortes de matériaux, mousses, bouts de ficelle, herbes sèches qu’elle s’évertuait tant bien que mal à accrocher à ce malheureux bout de ferraille.

  L’entreprise allait bon train quand, hélas, à la première brise, tout immanquablement se retrouva amoncelé par terre. Ce printemps-là, il n’y eut pas d’autre tentative.

Le mâle, rouge de honte, déguerpit aussi sec, tandis que la femelle dépitée, encore un peu verte, disparût à son tour…

 Pendant les trois années qui suivirent, aucun couple de queues rouges ne vint s’installer dans ce hangar, pas plus qu’autour de la maisonnée.

 Nous nous réjouissions du fait que partout de la plaine à la montagne, les rouges queues réussissaient leur vie de famille. Mais point ici…

 Jusqu’au jour, où en ce printemps 2021, par un beau matin du 25 avril pour être précis, nous entendîmes la strophe du mâle rouge-queue noir. Invariablement, il la répétait, perché au sommet d’un pylône électrique, non loin du hangar maudit.

 Pylône qu’il lui fallut partager à qui mieux mieux avec le merle noir, chacun son tour. L’un et l’autre s’égosillant également, tantôt à la flèche des grands sapins douglas proches, tantôt sur le toit même de la maison familiale.

050621 chant de rougequeue noir, de merle noir Le Puech Cantalwagenmann denis
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 Le paysage sonore était enfin revenu à la normale : il était inconcevable, en effet, que nous fussions privés du chant du rouge-queue noir ! Au demeurant, un beau mâle d’au moins deux ans, reconnaissable à son plumage gris anthracite.

 Mais, tenez-vous bien, le clou de l’histoire allait venir.

 Quelques jours passèrent.  Nous rendant dans le hangar pour quelque affaire, nous surprîmes la femelle, jusque-là invisible, avec quelques matériaux dans le bec. Aussitôt, saisi par un pressentiment inquiet, nous levâmes les yeux, à l’endroit précisément où trois ans plus tôt, la belle avait tenté de faire son nid.

 Et là, accrochés au même clou fidèle, pendouillaient des brins de mousses à du fil emmêlés.

Nous remémorant la fin tragique d’autrefois, nous lâchâmes un « non, mais je rêve ! ». L’histoire funeste n’allait tout de même pas se reproduire ?

 Le lendemain, l’ébauche du nid prenait forme à grande allure. La décision fut vite prise : profitant d’un bref moment d’absence de la tisserande, nous déployâmes l’échelle, et deux clous à une main, marteau à l’autre, -pouvait-il en être autrement- ? nous entreprîmes de consolider l’ouvrage en fixant une planchette de bois sur le chevron, cette dernière soutenant le nid en construction.

 Celui-ci, de facture grossière pour ce qui est de la base en tout cas, fut vite terminé.

 Le « miracle » pouvait désormais se produire. Le mâle se fit plus discret, quand on sait qu’en temps normal, il est capable d’émettre sa strophe de « glace pilée » plusieurs centaines de fois par jour. De même, on ne vit plus la femelle que par intermittence, quittant la couvée, quelques poignées de secondes seulement, pour un peu se sustenter. Le mâle venant, entre deux tirades, la ravitailler parfois.

 Au bout d’une bonne dizaine de jours, l’on vit les deux partenaires plus présents. Le ballet des adultes s’intensifiait à mesure que l'appétit des jeunes, au nombre de 4 pour sûr, grandissait.

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310521 jeunes rougequeues noirs au nid accueillant un adulte venu les nourrir wagenmann denis
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 Puis, une quatorzaine plus tard environ, l’un d’entre eux le premier né sans doute ou le plus hardi, quitta le nid suivi bientôt du reste de la fratrie.

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070621 cris d'un rougequeue juvénile, cris d'inquiètude d'un adulte, chant du père, chant d'un hypolaïs polyglottewagenmann denis
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 L'un après l'autre, le mâle les attira près du pylône, d’où il put commencer leur éducation musicale, bien à l’abri de la végétation arbustive alentour. Le plus naturellement du monde, il reprit sa sempiternelle chanson douce, qui parle peut-être de la mousse des bois.

 Désormais, au retour des beaux jours, lorsque nous entendrons à nouveau la romance froissée de l'oscine noire à queue rouge, à notre oreille incrédule, résonnera le tintement joyeux d’un vieux clou rouillé…

                                                                             Denis Wagenmann, 10 juin 2021

Note

 Il n'est pas rare qu'un oiseau revienne sur les lieux qui l'ont vu naître ; de la même façon, il en est plus d'un fidèle à un lieu de nidification précis. Nous nous souvenons avoir conservé pendant des années, avant qu'il ne se dégrade, un nid d'hypolaïs polyglotte venu nicher deux saisons d'affilée entre trois rameaux en forme de cône d'un groseiller, ayant trouvé sans doute là l'utile à l'agréable !

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